Guam, une île du Pacifique au rôle géostratégique majeur pour la puissance étatsunienne (2024)

Une petite île tropicale d’origine volcanique dans l’ouest de l’océan Pacifique

L’image couvre l’île de Guam, qui est longue et assez étroite. Elle est de petite taille puisqu’elle ne couvre que 549 km² et s’étend du nord au sud sur seulement 51 km et d’ouest en est de 6 km, dans sa partie la plus étroite, à 19 km au sud. L’importance des barrières coralliennes sur le littoral s’explique par son caractère tropical.

Sa forme dissymétrique en forme de 8 s’explique par la tectonique. Elle est en effet créée par la fusion de deux volcans aujourd’hui inactifs. La partie nord est cependant moins élevée et plus plane que la partie sud, dominée par le Mont Lamlan qui culmine à 407m. Guam appartient en effet à un archipel insulaire né de la collision tectonique entre deux plaques : celle du Pacifique et celle de la Mer des Philippines. C’est dans cette zone de subduction - au sud-ouest de Guam - que ce trouve l’une des fosses océaniques les plus profondes du monde (- 10 900 m.).

Pour autant, ne nous y trompons pas : même limitée, sa taille est un atout essentiel comparativement aux autres îles voisines. Si l’archipel des Mariannes (Guam, Rota, Siapan, Tinion…) qui s’étend du nord au sud sur 2.500 km, comprend quinze îles couvrant 1026 km², Guam à elle seule représente 54 % de la surface totale de l’archipel. C’est donc de loin la plus grande île de la Micronésie et de l’archipel des îles Mariannes. En conséquence, dans un très vaste espace océanique dans lequel les espaces terrestres insulaires sont rares, son contrôle constitue un enjeu géostratégique majeur.

Juriquement, Guam fait partie des territoires outre-mer dit « non-incorporés et organisés » comme Porto Rico et les îles Vierges des États-Unis dans la Caraïbe et les îles Mariannes du Nord dans l’océan Pacifique. Comme l’étudie le géographe Hervé Théry, le terme « Organisés » signifie que le Congrès des États-Unis a passé une « loi organique » (Organic Act) pour déterminer de manière formelle le système de gouvernement. Ces « territoires des États-Unis », ou « U.S. territories », s’intègrent dans l’archipel des systèmes insulaires conquis au XIXe siècle pour transformer l’océan Pacifique en un « lac américain ».

Une petite île mais un nœud géostratégique majeur dans un océan Pacifique transformé en « lac étatsunien »

Pour bien comprendre l’importance géostratégique de Guam, il faut bien sur changer d’échelle d’analyse et les emboiter.

A l’échelle régionale, Guam occupe une position de verrou et d’interface. Elle est l’île la plus méridionale, la plus importante et la capitale administrative des Iles Mariannes du Nord (Northern Mariana Islands) d’orientation Nord/Sud. Elle est aussi l’île la plus proche de l‘archipel des Iles Carolines qui s’étend au sud selon une orientation Ouest/Est.

Sur celui-ci s’étend les États fédérés de Micronésie. Cet ensemble comporte 607 îles et îlots disposant de 702 km² mais surtout de 2,6 millions km² d’eaux, ce qui en fait la 14e ZEE du monde. Ces îles furent sous contrôle du IIem Reich allemand en 1899, puis du Japon à l’issue de la 1er Guerre mondiale (mandat de la SDN) puis, enfin, des États-Unis en 1945. Si l’indépendance, plus ou moins formelle, est acquise dans la décennie 1990, Washington y garde la responsabilité des questions de défense de cet « État associé » à partir de Guam. Le Quartier Général de l’État-Major des forces militaires de Guam et des Mariannes intègre en effet dans son champ de responsabilité Guam, le Commonwealth des Iles Mariannes du Nord, la République de Palau et les États fédérés de Micronésie, associés aux États-Unis.

A l’échelle continentale de l’Asie-Pacifique, Guam se trouve à 2.000 km des Philippines, à 2400 km des premières îles méridionales du Japon, à 2700 km de Taiwan et à 1.830 km de Papouasie Nouvelle-Guinée. A l’échelle du Grand Pacifique, elle se trouve à 8.600 km de la Californie et à 6000 km d’Hawaï.

Au total, Guam fait partie des nombreux territoires de l’océan Pacifique sous souveraineté étatsunienne, qu’ils soient habités (Hawaï, Guam, Mariannes du Nord, Samoa américaines) ou non habités (îles, récifs ou atolls de Midway, Wake, Howland, Baker, Jarvis, Kingman, Palmyra, Johnston…). Leur prise de contrôle progressive transforme depuis la fin du XIXe siècle cette immense partie de l’Océan pacifique en un véritable « lac étatsunien ». La possession de ces îles explique aussi le fait que les États-Unis disposent de la plus grande Zone Économique Exclusive maritime (12,1 millions de km²) au monde.

Guam : une trajectoire géohistorique exceptionnelle entre systèmes impériaux espagnol, étatsunien et japonais

Au plan géohistorique, l’île de Guam présente une trajectoire assez exceptionnelle puisqu’elle est découverte et colonisée à partir du continent américain. Lors de son tour du monde, Ferdinand Magellan y accoste en effet en mars 1521. Puis, du fait de sa position stratégique, la Couronne espagnole en prend possession en 1528 et s’y installe durablement en 1565. Guam devient alors un site d’escale de première importance sur la route maritime des galions espagnols qui relient régulièrement Manille, aux Philippines, au port d’Acapulco, situé sur la Côte Ouest du Mexique. Ceux-ci utilisent le grand courant marin nord-équatorial d’orientation est-ouest qui circule dans le Pacifique du large de la Californie vers les Mariannes. Guam est en effet un relais indispensable entre la Nouvelle Espagne centrée sur Mexico et les Philippines, ainsi nommées en 1542 en l’honneur de l’infant, futur Philippe II. Cet archipel asiatique est d’ailleurs rapidement colonisé sur le modèle hispano-américain de l’encomienda et soumis à une entreprise de conversion massive au catholicisme, un cas unique en Asie. La Vice-Royauté de Nouvelle Espagne couvre en effet alors le Mexique, toute l’Amérique centrale, le sud des actuels États-Unis (Californie, Arizona, Nouveau Mexique, Texas) et les Philippines.

Mais ce dispositif impérial espagnol s’effondre à partir du milieu du XIXe siècle sous les coups de boutoirs d’une nouvelle puissance émergente en Amérique du Nord, les États-Unis. A l’issue de la Guerre hispano-étasunienne de 1898, Guam passe - comme les Philippines, Cuba et Porto Rico - sous domination étasunienne. Immédiatement, un décret présidentiel place l’île sous l’autorité directe de l’US Navy, elle le restera jusqu’en 1950, date à laquelle un nouveau statut plus autonome lui est accordé. Celle-ci y installe un important dépôt de charbon afin de ravitailler les navires en carburant et une station de télécommunication.Dès 1903, on y installe une station-relais de câbles télégraphiques reliant les États-Unis à l’Asie.

Dans la première moitié du XXe siècle, l’impérialisme japonais remet en cause l’hégémonie étatsunienne sur le Pacifique. L’île de Guam est envahie puis occupée par les troupes impériales japonaises juste trois heures après l’attaque de Pearl Harbor dans le cadre de la Guerre du Pacifique qui se déploie à partir de décembre 1941. Elle ne sera libérée par de rudes combats que durant l’été 1944.

Un des îles les plus militarisées au monde : un levier majeur pour la projection des forces armées des États-Unis vers l’Asie

Depuis 1945, Guam est l’une des îles les plus militarisées au monde du fait de sa position géostratégique puisque c’est le territoire sous souveraineté directe des États-Unis le plus à l’ouest. L’île joue un rôle considérable durant la Guerre de Corée (1950-1953), l’événement fondateur de l’affrontement entre l’Est et l’Ouest en Asie, puis la Guerre étasunienne du Vietnam (1955 – 1975). Depuis, la « lutte contre le terrorisme », les invasions de l’Irak et de l’Afghanistan, la montée de la puissance chinoise et les tensions avec la Corée du Nord n’ont fait que renforcer son rôle géostratégique pour Washington.

Aujourd’hui, Guam compte 52 sites militaires couvrant 153 km², soit 28 % de la surface de l’ile. Elle accueille environ 7000 militaires permanents, dont 3260 de l’US Navy, 1800 de l’US Air Force et 1300 hommes des Marines, auxquels s’ajoutent les milliers de membres de leurs familles. Au total, les activités militaires jouent un rôle social et économique considérable puisqu’ils représentent environ 40 500 emplois directs et indirects. En échange, l’île est très dépendante des aides sociales et financières américaines, puisque de 45 000 habitants reçoivent une aide alimentaire et bénéficient du système de santé publique.

Son fonctionnement est rattaché à l’USINDOPACOM - ou l’US Indo-Pacific Command – qui couvre tout le Pacifique (îles, Australie, Nouvelle Zélande), l’Asie du Sud-Est (Indonésie, Viêt-Nam, Singapour, Thaïlande…), l’Asie de l’Est (Chine, Japon, Corée) et l’Asie du Sud (Inde, Pakistan…). A côté de Guam, d’Hawaï (51.000 hommes) et de l’Alaska (19.500 hommes), les États-Unis gardent aussi d’importantes bases militaires au Japon et en Corée du Sud et sont présents en Thaïlande, à Singapour et en Australie.

Au plan militaire, Guam appartient donc à l’important réseau mondial des bases aéronavales. Elle permet à l’US Navy, avec la base navale de Guam (NBG), ou à l’US Air Force, avec l’Andersen Air Force Base (AFB), de disposer d’unités pré-positionnées et d’accueillir les forces en transit entre l’Asie et les États-Unis où elles font relâche et se réapprovisionnent. Rappelons en effet que l’US Navy dispose à l’extérieur du Mainland de 45 bases navales dans ses dépendances (Guam, Hawaï, Mariannes, Porto Rico, Iles Vierges) et de 154 bases dispersées dans 17 pays étrangers alliés (Japon, Italie, Australie, Espagne, Golfe persique…).

La possession de Guam donne donc aux États-Unis une capacité de projection militaire aéronavale vers l’Asie tout à fait exceptionnelle. Ce fait est de première importante puisque l’Asie constitue un enjeu économique, géopolitique et géostratégique déterminant pour le rayonnement mondial de la puissance étasunienne. Du fait à la fois de son importance dans les équilibres géoéconomiques et géopolitiques mondiaux et des liens d’interdépendances multiformes tissés avec elle depuis un demi-siècle.

Sur l’image, la présence militaire est localement significative sur la partie septentrionale, centrale et littorale tournée vers l’est du fait des vastes espaces plans disponibles. Les communes de Yigo (base aérienne Andersen) et Dededo (camps des Marines) au nord, Agaga et Barigada au centre et Piti et Santa Rita l’ouest (base navale) sont les plus concernées. Enfin, la petite ile inhabitée de Farallon de Medinilla, située à 296 km au nord de Guam et à 83 km au nord de Saipan est utilisée comme aire d’entrainement par les bombardiers stationnés à Guam.

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